Plus connu sous le pseudonyme de “Peintre Obou’’, l’artiste plasticien ivoirien Gbai Obou Yves, de son vrai nom, s’est confié à Ayana sur l’univers artistique dans lequel il baigne depuis tout jeune. Avec lui, on a parlé de l’importance de la formation dans la pratique artistique, du “Braid Art’’ et du projet “Abobo Ê Zo’’…
Si vous pouviez résumer votre rencontre avec l’art en quelques mots, que diriez-vous ?
L’art, c’est toute ma vie. Je me demande si j’aurais pu faire autre chose si l’art n’existait pas, ou si j’aurais pu m’exprimer et extérioriser ce qui est à l’intérieur de moi comme je le fais aujourd’hui.
Pensez-vous qu’il est absolument nécessaire de suivre une formation pour se sentir légitime dans son art et obtenir la reconnaissance de ses pairs ?
Une école d’art, c’est nécessaire. Mais ce n’est pas obligatoire pour proposer de l’art contemporain à son public, sachant que cette discipline se base sur le conceptuel. On ne tient pas trop compte de la technique. Aujourd’hui, on constate qu’il y a énormément d’autodidactes qui sont de grands artistes. Néanmoins, faire une école de formation reste une voie importante car tu te formes à la technique, et aux méthodologies adéquates pour atteindre les résultats escomptés. La formation est comme un pilote dans ta carrière afin de mieux t’orienter dans tes choix. Pour ma part, j’ai fait les Beaux Arts d’Abidjan.
J’étais le genre d’étudiant qui maitrisait la technique mais qui décidait de faire autrement car je voyais le monde différemment.
D’où proviennent vos influences artistiques ?
Mon travail a été inspiré par plusieurs artistes car j’étais à la recherche de ma propre patte. Je me suis inspiré dans un premier temps d’Oswaldo Guayasamín, un artiste Équatorien. Il travaillait sur des thématiques très tristes notamment la faim, l’oppression, la misère etc. Il se trouve que quand j’étais aux Beaux-arts, j’avais pour sujet les victimes de guerres, un thème qui me touchait personnellement car je l’étais aussi. J’ai donc voulu raconter mon vécu à travers mes peintures. C’est en faisant des recherches sur des artistes de qui je pouvais m’inspirer que je suis tombé sur lui. Son travail m’a impressionné à tel enseigne que dans les premiers temps, je faisais des copies et au fil du temps, j’ai personnalisé mon travail en racontant mon actualité, où je vis, où je vais…. Il y a eu plusieurs grands artistes, pas nécessairement connus, dont je me suis inspiré sur des petites choses qui m’interpellais et j’ai retravaillé à ma façon pour trouver mon écriture.
Parlez-nous du mouvement « Braid art » dont vous êtes précurseur ?
Le « Braid art » découle d’une histoire qui s’est déroulée aux Beaux arts lorsque nous étions encore étudiants. L’intention était de faire du Braid art un mouvement artistique. Le Braid art est survenu à une période où le programme s’était alourdi avec l’avènement de nouvelles matières dans lesquelles il fallait aussi performer. À cours de temps pour tout gérer, on ne s’appliquait plus sur nos dessins. Et comme nos dessins n’étaient pas très aboutis, on les qualifiait de « Vilain », de « Laid », de « Braidai ». On a voulu faire de cette faiblesse, une qualité. C’est de là qu’est venu l’appellation « Braid art ». Les rendus sont déformés, décalés mais c’est quand même beau parce que c’est spécial. Cela se ressent aujourd’hui dans mon travail, car je peins des personnages masqués ; les masques peuvent paraître « Braid », mais on y trouve une certaine forme de beauté.
De façon générale, quelles sont les thématiques de fond que vous abordez à travers vos œuvres ?
La thématique principale que j’aborde, c’est la condition humaine. Comme je l’ai dit précédemment, lorsque j’étais aux Beaux-arts, j’ai mis en avant mon vécu en tant que déplacé de guerre pendant la crise socio-politique en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, je parle de là où je vis, Anono, Boribana… Je peins des scènes de vie notamment des moments de confinement, les inondations, enfin tout ce qui touche à la condition humaine dont je peux être témoin.
Le but ultime, c’est de laisser des traces qui pourront raconter la vie des gens d’aujourd’hui aux archéologues de demain.
En tant qu’acteur de l’univers artistique, pouvez-vous nous dire si le marché de l’art en Afrique tend vers sa dynamisation ou sa stagnation ?
Je pense que le marché de l’art en Afrique se dynamise. Seulement que la Covid-19 a ralenti beaucoup de choses, comme dans tous les secteurs d’ailleurs. Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, on ne parle plus de l’art contemporain Africain pour désigner ce qui vient d’ici, mais de l’art contemporain tout court. Les artistes en vogue dans les grandes galeries, ce sont des artistes Ivoiriens, Maliens, Burkinabés… L’appellation “art Africain” doit disparaître car les artistes originaires d’Afrique s’expriment sur les réalités qui touchent le monde entier. Ils parlent de ce que l’on vit ici et mais qui peut aussi avoir lieu à Tokyo ou ailleurs.
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Comment la Covid-19 a impacté ton activité ?
Le confinement m’a permis de pousser mon travail à un autre niveau. Je passais beaucoup de temps à la maison et je ne faisais que peindre. Ce qui fait que mes dernières toiles sont très travaillées et j’ai vraiment adoré cela. C’est devenu ma nouvelle attitude de travail car je n’ai plus envie d’aller vite. Je préfère passer plus de temps à finir une toile qui va épater les gens et en être vraiment fière.
Quel est l’impact des réseaux sociaux dans la promotion de votre art ?
Les réseaux sociaux ont donné une meilleure visibilité à mon travail et à l’art en général. Il y a beaucoup de personnes qui n’y connaissaient pas grand-chose mais grâce à ces différentes plateformes, on peut sentir qu’il y a plus d’intérêt de la part des internautes. C’est important que les populations consomment l’art qui se fait chez eux avant même que les étrangers ne viennent le faire à leur place. Consommer l’art, c’est une façon de reconnaître sa valeur. Sans consommation, il n’y a pas de marché. Aussi, grâce à internet, j’ai pu vendre à un prix auquel je n’avais jamais vendu en galerie.
Aujourd’hui, votre travail est reconnu en Côte d’Ivoire, si bien que vous participez à des projets d’envergure sociale, notamment la campagne « Abobo Ê Zo », où on peut admirer vos œuvres, le long des rues et des façades de bâtiment de ladite commune. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
C’était un challenge pour moi car c’était quelque chose de nouveau. Je ne sais pas si tous les artistes ont le même sentiment que moi mais c’est très excitant de travailler sur quelque chose qu’on a jamais fait auparavant. Lorsqu’on m’a proposé ce projet, j’étais vraiment heureux d’y participer car Abobo a longtemps souffert d’une mauvaise réputation. J’ai donc voulu apporter un concept nouveau là-bas, mettre de la couleur partout, pour changer la vision qu’on a d’Abobo. J’ai fait le choix risqué de peindre des toiles sur de grandes façades afin de permettre à la population d’Abobo de consommer aussi l’art. Dans les œuvres, j’ai intégré des mots du jargon Nouchi pour faciliter leurs lectures par les riverains. Quand les jeunes ne voient que les personnages masqués, ils peuvent ne pas comprendre, mais avec les inscriptions comme « Abobo est Zô », « Les moussos les plus kpatas », « Abobo c’est la base » ils se sentent concernés. J’aurai pu dessiner des formes colorées, ça aurai été tout aussi beau mais ça n’aurait pas eu de sens particulier à part le côté esthétique.
Quel conseil donneriez-vous à un artiste qui souhaite progresser dans le monde de l’art ?
Le cercle artistique en Côte d’ivoire, c’est un peu comme une secte, tout le monde se connait. Pour se développer, tu dois aller aux expos, rencontrer des collectionneurs, des amateurs d’art, d’autre artistes etc. C’est en se frottant aux gens que tu te crées un réseau. Mais si tu ne connais personne, tu n’auras pas les bonnes informations. Aussi, on ne fait pas l’art pour avoir l’argent. Il y a beaucoup de jeunes artistes qui cherchent d’abord à s’enrichir ce qui les emmène à suivre les tendances des autres. Il faut travailler rigoureusement pour s’exprimer dans son propre langage.
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Par Stephanie Bayou