Par Me Bah-Leroux
En Afrique, le mariage forcé est une triste réalité très souvent indissociable du mariage précoce. Le mariage forcé est l’union matrimoniale dans laquelle le consentement d’au moins un des conjoints n’est pas donné. D’un autre côté, le mariage précoce est le mariage dans lequel un conjoint est mineur. Dans la plupart des cas, la jeune fille se trouve être la victime dans ce genre d’union. En Côte d’Ivoire, ces phénomènes mis ensemble tirent leur origine et leur force des coutumes traditionnelles et s’enracinent par l’appât du gain. Toutes les régions du pays sont actrices de ces pratiques, mais les zones rurales dont le principal fief est la zone nord du pays sont les plus touchées. La grande partie des mariages forcés et/ou précoce sont contractés par les populations Malinkés qui traditionnellement s’octroient le droit de marier leurs filles, de gré ou de force, mineure ou majeure.
Face à ce pitoyable constat, l’Etat de son côté s’active à faire respecter le droit des jeunes filles victimes de telles atrocités par la juridicisation du phénomène social qu’est le mariage.
Les règles qui encadrent le mariage
L’Etat Ivoirien, partie à une pléthore d’instruments de protection des droits de l’homme, a introduit dans son système juridique interne des règles visant à encadrer le mariage et qui, par ricochet, luttent contre le mariage forcé et/ou le mariage précoce.
En effet, lecture faite des articles 2, 4 et 5 de la loi n°2019-570 du 26 Juin 2019 relative au mariage, il ressort que seul le consentement des futurs époux ayant atteint la majorité civile (18 ans) est nécessaire pour qu’il y ait mariage. Par cette prescription expresse, le législateur Ivoirien s’oppose aux coutumes traditionnelles qui militent pour le mariage forcé et/ou mariage précoce. Ainsi, la lutte contre ces pratiques dégradantes et illégales étant clairement affichée, elle prend plus de valeur par leur répression.
Le législateur a établi un régime répressif visant à garantir le respect des droits de l’homme, principalement ceux de la femme et de la jeune fille dans l’union matrimoniale. La pénalisation de ces pratiques a le mérite de dissuader toute personne voulant perpétuer cette odieuse tradition. L’article 439 Code Pénal est pour cette mesure le porte-voix du législateur qui précise en des termes claires les sanctions rattachées à la commission de cet acte qualifié de délictuel.
Il ressort des dispositions de cet article que : « est puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 360.000 à 1.000.000 de francs ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque contraint une personne à entrer dans une union matrimoniale de nature civile, coutumière ou religieuse. Le maximum de la peine est prononcé si la personne contrainte à l’union matrimoniale (…) est mineure. »
Les articles susmentionnés constituent le fondement de l’action des officiers de police judiciaire qui peuvent intervenir lorsqu’ils sont saisis soit directement par la victime, soit par personne interposée ou d’office en cas de constatation de leur inobservation. Ainsi, par le ministère de ces agents de l’Etat, plusieurs mariages de ce type ont pu être annulés et la condamnation de leur commanditaire fut prononcée. Le départ de cette action salutaire est la condamnation par le Tribunal de Première Instance de Bouaké de M. Hamed Dosso, le 22 Octobre 2014, à 1 an de prison et au paiement d’une amende de 360.000 FCFA pour avoir marié de force sa fille de 11 ans à l’un de ses cousins. Cette grande première ouvre la voix de l’espoir en des lendemains meilleurs qui font rêver à une justice capable d’éradiquer cette plaie sociale.
Cependant, ce système juridique garantit-il efficacement la protection des jeunes filles exposées à ce phénomène ?
De l’effectivité de la protection contre le mariage forcé
Les efforts consentis par l’Etat Ivoirien contribuent à la réduction du taux de mariage forcé contractés. Toutefois, certains facteurs se posent comme obstacle à l’éradication de ce fléau social.
Ainsi, d’une part la démarche progressive de l’Etat est à féliciter dans la mesure où les lois adoptées en la matière sont appliquées par les juridictions de sorte que la jurisprudence quasi-inexistante dans ce domaine prend vie et l’on constate un taux relativement bas de victime de mariage forcé et/ou précoce.
De plus, conscient de la sensibilité de ces cas, l’Etat a prévu une aide sociale apte à répondre aux besoins vitaux des victimes. Il faut noter que si les procès judiciaires sont rares en la matière, de plus en plus de jeunes filles ont très souvent recourt à l’assistance sociale que propose l’Etat et plusieurs organisations non gouvernementales spécialisées en la matière en vue d’obtenir la protection sociale dont elles ont besoin.
D’autre part cependant, pour les populations fortement ancrée dans la tradition, seule l’alphabétisation à la fois des parents et principalement de la jeune fille est une échappatoire.
En effet, si la jeune fille a des responsabilités professionnelles liées aux diplômes académiques obtenus, elle ne risque pas d’être exposée à ces pratiques. Or l’éducation de la fille ne constituant une priorité que pour les parents eux-mêmes ayant reçu un minimum d’éducation scolaire ou étant dégagés de certains stéréotypes. De ce fait la plupart des filles vivant en zone rurale, à l’image de leurs parents, ne sont pas scolarisées, par conséquent, elles sont exposées à de telles pratiques. Les parents plutôt indifférents, dans certains cas, du sort réel réservé à leur fille, se satisfont du gain pécuniaire ou du positionnement social issu de la transaction. Dans les autres cas, ces pratiques sont encouragées par le souci de trouver un époux qui fera le bonheur de la fille suivant les critères de jugement et de choix des parents.
Malgré le rapprochement des autorités étatiques, peu sont celles qui osent faire valoir leurs droits au détriment du choix de leur famille ; une telle résolution aura pour conséquence le rejet total de famille et de la communauté pour le mieux, au pire des cas, ce sera la mort.
En définitive notons que les pouvoirs publics, organisations non-gouvernementales et associations manquent très souvent d’informations en la matière, ainsi nombreuses sont les jeunes filles victimes de mariage forcés et/ou précoce. Plus d’efforts doivent être faits dans la sensibilisation de l’ensemble des populations sur les dangers de ces pratiques et sur l’existence de lois répressives en la matière pour que de plus en plus d’initiatives soient prises notamment par les communautés traditionnelles et religieuses dans ce domaine en vue d’endiguer ce phénomène, restaurant ainsi un Etat favorable au plein épanouissement de la jeune fille.