Fatim Cissé est entrepreneure. Si elle a toujours grandi avec des histoires en tête, elle n’a jamais imaginé devenir cinéaste. Mais son parcours l’emmène à écrire et réaliser la série « Jigeen, vies de femmes ». On vous présente celle qui a mis en scène la vie de trois femmes sénégalaises liées par une forte amitié.
Présentez-vous aux Ayanas
Je suis née et j’ai grandi à Mermoz (Dakar). Ma famille n’a aucune connexion avec le cinéma, excepté mon grand frère qui est artiste aux milles facettes. Ma sœur quant à elle, m’a transmise son amour de la lecture. Très tôt, j’ai développé une grande imagination. A 6 ans, je racontais des histoires rocambolesques, qui n’avaient ni queue ni tête, à qui voulait m’écouter (rires).
Adolescente, je tenais un journal intime où je racontais mes journées, mes petites peines, mes amitiés, … Je lisais énormément et avais une préférence pour les romans d’Agatha Christie et Mary Higgins Clark qui me plongeaient dans cet univers de fiction avec des personnages, aussi intrigants qu’attachants.
Des années plus tard, l’envie de raconter des histoires était toujours là, bien présente. Mais cette fois, ce serait des personnages auxquels les africains pourraient s’identifier, des personnages qui nous ressemblaient avec des problématiques bien de chez nous mais aussi universelles. Des femmes, mises en avant et qui portaient des voix, leurs voix.
Racontez-nous votre parcours
J’ai fait mes études primaires et secondaires à Dakar et me suis envolée pour Paris où je me suis spécialisée en Marketing et Communication. J’y ai fait mes débuts en travaillant en agences de communication. 5 ans plus tard, je rentrais au Sénégal déterminée. Des expériences à la télé, et en ONG ont fini de me motiver à me lancer dans ce projet fou de faire la série en tant qu’autodidacte. L’aventure Jigeen commençait !
« Il n’y a qu’une façon d’apprendre, c’est par l’action. »
Comment avez-vous eu cette idée originale ?
J’ai toujours eu une imagination débordante mais je n’ai jamais su que je serais cinéaste un jour. La série vient d’un besoin, d’appropriation ou d’appartenance mais aussi une plateforme qui servirait à faire passer des messages forts. Quand je suis rentrée, il y avait des productions sénégalaises mais malheureusement aucune d’elles ne me parlaient, et je n’étais pas la seule. Je trouvais que la femme sénégalaise n’était pas assez valorisée avec des rôles assez « clichés » et à la limite de la misogynie. Pourtant, elle reste le moteur essentiel de notre développement et le socle-étendard de notre cellule familiale.
J’ai alors décidé d’écrire nos propres histoires, nos vies dans ce monde où la plupart des récits de femmes sont racontés par des hommes. Il était donc évident de confier les premiers rôles à des femmes pour en ressortir leur indépendance et leur autonomie dans la société moderne sénégalaise. Par ailleurs, mon inspiration vient de ce qui m’entoure au quotidien, les personnages sont uniquement la représentation des gens que je connais et la façon dont je vois le monde.
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C’est votre premier projet en tant que réalisatrice ? Comment l’avez-vous appréhendé ?
Avec beaucoup d’excitation, d’humilité et d’audace ! Je voulais coûte que coûte donner ma vision de ce que j’ai écrit. Il était hors de question de donner ce rôle à quelqu’un d’autre même si certains me l’ont suggéré. Je devais le faire, je devais apprendre à le faire. J’ai donc beaucoup lu et regardé des vidéos sur comment réaliser un film. Et j’ai regardé beaucoup de films. Mais avant tout, je me suis entourée d’une équipe formidable qui m’a accompagné pas à pas dans ce métier que je découvrais. Mes producteurs, qui sont ma sœur et un ami, ont cru au projet et ont accepté de me donner une chance. Je me suis dès lors sentie investie d’une mission qui était de les rendre fiers.
En 2016, je faisais le pilote, je passais de la théorie à l’action. Une première école !
C’est seulement en 2018 que le rêve s’est concrétisé difficilement mais je suis heureuse de dire aujourd’hui que j’y suis arrivée. Notre seul frein, c’est nous-même, si on y croit, on peut le faire.
Si vous deviez nous « pitcher » Jigeen en quelques phrases, que diriez-vous ?
Il s’agit de l’histoire de 3 amies sénégalaises déterminées à vivre leurs vies avec passion et en mettant tout en œuvre pour impacter positivement la communauté, malgré les difficiles réalités qui leur donnent plus d’une fois l’envie de déchanter.
Combien de temps a duré le tournage de la première saison ?
Il a duré 2 mois et demi…et 1 jour qui a été tourné 2 mois plus tard. Pour la petite histoire, un des acteurs a dû voyager in extremis la veille de la fin du tournage alors qu’il lui restait des scènes. La production a eu tout le mal du monde à réorganiser tout ça mais nous y sommes arrivés par la grâce de Dieu.
Que retenez-vous de cette expérience ?
Une expérience riche en apprentissage. C’est dur de réaliser un rêve mais c’est tellement excitant et satisfaisant de le voir se concrétiser petit à petit. Même s’il y a eu des moments difficiles, je me suis éclatée. Cette expérience m’a rendu un peu plus forte et surtout m’a permis de connaître des personnes adorables qui continuent de m’inspirer. Et parmi ces dernières, l’une des premières héroïnes de la série Jigeen, Salimata Kaloga (paix à son âme) nous a quitté après le tournage du pilote. Une femme exceptionnelle, pleine de vie, de folie, une battante qui aimait profondément les gens. Elle était sans exagérée l’incarnation de la série Jigeen. Je suis sûre que de l’au-delà, elle nous a soutenu tout au long de cette expérience, son esprit ne nous a jamais quitté.
En tant que femme, quel message avez-vous voulu faire passer à travers cette série ?
Soyons unies et bienveillantes et surtout croyons en nous ! Je voulais casser ce stéréotype qui voudraient que les femmes soient, par leur nature, inaptes à s’entendre entre elles, condamnées à se juger, se critiquer et se comporter en rivales les unes par rapport aux autres.
Pourquoi perdre du temps à considérer les autres femmes comme de éventuelles rivales quand on peut tout simplement s’ouvrir à elles, se serrer les coudes, s’unir les unes aux autres pour avancer dans cette société vers plus d’égalité ?
Il est aussi question de réfléchir sur certaines problématiques surtout celles liées aux droits des femmes. On y retrouve des thèmes qui pointent du doigt nos tares, nos peurs, et notre idéal de vie commune au côté de nos chers hommes.
Ça fait quoi d’être une femme réalisatrice de séries au Sénégal ?
C’est un sentiment de fierté mais aussi un vrai sacerdoce pour la bonne et simple raison que le métier de réalisateur demande beaucoup de sacrifice et de patience, énormément de travail, et un large éventail de compétences.
En définitive, je pense que c’est un métier qui n’a pas de sexe car il fait appel à de l’intelligence, à de l’humanisme, à de la curiosité et à de l’observation. Ce que une femme peut valablement assumer.
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Un conseil à des Ayanas qui veulent être réalisatrices ?
Le conseil que je donne à mes sœurs, c’est de mettre en place des sororités, de conjuguer solidarité et bienveillance les unes envers les autres. Trouvez des personnes qui vous inspirent et partagez avec elles. Pratiquez l’humilité mais soyez fermes et courageuses. Ne vous laissez surtout pas intimider.
La peur est un frein, soyez votre propre accélérateur, OSEZ !
Mais avant toute chose, ayez la passion du métier.
« Quand on veut une chose, tout l’Univers conspire à nous permettre de réaliser notre rêve. »