Ces dernières années, dans un environnement de plus en plus connecté, la lutte pour les droits de femmes se fait en ligne. Les réseaux sociaux pullulent de comptes entièrement destinés à l’éducation et à la sensibilisation pour une société plus juste envers les femmes. Les féministes élèvent la voix, font passer leurs messages sur leurs profils et soulèvent souvent la controverse. Avec les célèbres hashtags #MeToo, #BalanceTonPorc, #Doyna ou encore #MemePasPeur, la voix des survivantes de violences se fait entendre. La journaliste de formation Traoré Bintou Mariam a elle aussi créé un hashtag devenu rapidement viral en Février 2020: #VraieFemmeAfricaine. Tout est parti d’une publication Facebook: “Femme noire, tu enfanteras dans la douleur pour prouver que tu es une vraie Africaine.” Il n’en fallut pas plus pour délier les langues et dénoncer le caractère absurde des diktats imposés aux femmes africaines. Avec celle qui se définit comme une féministe 2.0, nous avons discuté de l’impact du digital dans le militantisme féministe et de la place de la femme en Afrique.
Se définir comme féministe n’est-il pas un acte politique en soi quand on connaît la connotation péjorative de ce mot dans l’imaginaire collectif?
Normalement, ça ne devrait pas l’être. Mais malheureusement, c’est devenu le cas. Se définir comme féministe, c’est décider d’avoir une cible sur le front et sur soi constamment.
Pour vous, qu’est-ce que le féminisme ?
Pour moi, le féminisme, c’est de donner le droit et le choix aux femmes de ne pas être féministe.
Comment est née votre engagement pour les droits des femmes?
Mon engagement est né de mes expériences. Il y a des gens qui me disent que je suis “occidentalisée”. J’ai fait près de 23 ans de ma vie en Côte d’Ivoire. Je ne suis arrivée en Europe qu’en 2017. J’ai été féministe depuis la Côte d’Ivoire. Au vu de mes expériences, je sentais qu’il y avait un problème. Je sentais que les femmes savaient qu’il y avait un problème. Mais aucune n’osait le dire pour ne peut-être pas perdre la sympathie, pour ne pas être “taxée” de féministe. J’ai donc commencé à lire beaucoup de livres sur les femmes. Je voyais dans mon entourage les violences, les problèmes de droit de “cuissage” à l’école. Et j’ai voulu en savoir plus.
Comment fait-on son éducation féministe quand l’histoire du féminisme est aussi peu documenté en Afrique ?
Mon premier contact avec le féminisme, c’était le livre de Mariama Bâ, Une Si Longue Lettre. Je devais être au lycée. J’ai senti la révolte, la colère, la tristesse. J’ai perçu la situation de la femme africaine telle qu’elle est. Mais je ne savais pas trop comment l’exprimer. Il y a également ce livre de Regina Yaou, la Révolte d’Affiba. Ce sont ces livres que j’ai lus plus jeune qui m’ont initié à la lutte et après, j’ai commencé à m’intéresser à tout ce qui est féminisme africain.
3 livres que vous recommanderiez?
- Awa Thiam, la parole aux négresses d’Awa Thiam
- Les traditions-prétextes, Constance Toma’m Yaï
- Ne suis-je pas une femme? de Bell Hook
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Le féminisme est souvent perçu comme un mouvement “de Blancs” sous nos cieux. C’est quoi être une féministe africaine aujourd’hui?
Pour moi, être une féministe africaine, c’est de comprendre qu’il est temps que la voix de la femme africaine porte pour elle et par elle-même. C’est refuser qu’on parle pour nous.
Vous êtes très active sur les réseaux sociaux. Est-ce une nouvelle forme de militantisme féministe ?
Bien sûr. C’est le féminisme de notre ère. J’entends beaucoup parler de féminisme 2.0 mais il est tout à fait normal qu’il soit 2.0. Nous sommes dans l’ère digitale. Machistes, extrémistes… tous font passer leurs messages sur les réseaux sociaux. Il n’y a donc pas de raison que les féministes ne soient pas sur les réseaux sociaux. Avant, les féministes utilisaient les moyens de leurs temps pour faire passer leurs messages. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, quoi de plus normal d’être présent en ligne. On va continuer à y faire de la pédagogie et à dénoncer.
Vous avez créé la page Facebook “Matrimoine africain”. Pourquoi ?
Je trouvais qu’en tant que femmes noires, en alliant le racisme et le sexisme, nous étions les plus “invisibilisées” de l’histoire. Même dans l’histoire de l’Afrique, la femme était cantonnée à des rôles de guerrières ou de reines. Alors, pour moi qui ne suis pas une reine, je me suis demandé s’il n’y avait pas des femmes plus “simples”. Et là, je me suis renseignée et je me suis rendu compte qu’il y avait tout type de femmes, qui ont fait des choses extraordinaires et qui ont été simplement et totalement effacé de l’histoire. Je me suis dit que ce n’était pas normal et que j’allais essayer de réhabiliter tout ça.
Le féminisme africain se réinvente grâce aux réseaux sociaux. Quel est l’impact du digital dans votre combat?
D’abord, les réseaux sociaux permettent de reconnaître les personnes et les femmes qui partagent les mêmes idéologies pour s’unir. C’est très important. ça permet de créer une communauté, avec des gens de son pays ou d’ailleurs. Aujourd’hui, je parle avec des féministes du Niger, de la Mauritanie ou même d’Inde. Avant, je n’aurais jamais pu imaginer créer ce réseau. Ensuite, les réseaux sociaux permettent aussi de faire de la pédagogie. À force de passer des messages, poster des slogans, ça rentre progressivement dans la tête des gens. Et enfin, c’est un bon canal pour dénoncer. Je suis dans une association qui s’appelle “La Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes”, la majorité des femmes qui nous écrive, c’est via les réseaux sociaux. La majorité des cas de violences qui ont été médiatisés, c’est sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont indissociables de la lutte.
Comment vivez-vous le fait d’être constamment dans le viseur sur les réseaux sociaux ?
Les expériences nous forgent. Je suis féministe depuis 8 ans et au début, je dois avouer que ce n’était pas facile. Je ne comprenais pas beaucoup de choses et j’étais perdue. Mais avec le temps, l’expérience et surtout le fait de discuter avec des femmes et des féministes plus âgées, j’ai fini par comprendre que ce qui compte réellement, c’est ce que je fais pour les femmes. Il y aura toujours des attaques. Pas que je le vis bien ou que je le vis mal mais je vis quoi !
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Que répondez-vous généralement aux internautes qui brandissent la tradition africaine pour contrer les arguments des féministes?
Déjà l’Afrique, ce n’est pas un pays. C’est l’erreur qu’on fait. Il n’y a pas LA tradition africaine. Il y a LES traditions africaines. Ce que je remarque, c’est que lorsqu’il s’agit de la femme africaine, on utilise tous ces arguments: tradition, religion, culture, etc. Il y a des traditions en Afrique où la femme avait le droit d’avoir plusieurs hommes. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, on veut revenir à une certaine tradition africaine mais seulement celle qui favorisait l’homme. Le fait est qu’on est en 2020, la colonisation est passée par là, beaucoup de choses ont changé. Les femmes sont des êtres humains, le passé est le passé. On est en train de préparer l’avenir. On essaie d’avoir une société plus ou moins égalitaire au niveau des droits pour tout le monde. Et il n’y a pas de raisons que la tradition africaine pèse seulement sur le genre féminin. Je revendique le fait d’être une femme africaine. Je pense que l’Afrique n’appartient pas qu’aux hommes. L’Afrique appartient aussi aux femmes.
La viralité du hashtag que vous avez lancé en Février dernier #VraieFemmeAfricaine fait-il écho à un éveil de conscience chez les Africaines? Pensez-vous qu’il aurait eu ce succès cinq ans plus tôt?
Je pense que tout ça a été préparé en amont par les féministes 2.0. Moi, j’ai commencé sur les réseaux sociaux en 2012-2013. On faisait passer nos messages même si on était insultés, persécutés. Mais on a quand même réussi à montrer certaines choses. Aujourd’hui, avec le hashtag, c’était comme une espèce de ras-le-bol que les femmes ne savaient comment exprimer.
Quel est le futur du mouvement féministe en Afrique ? Sera-t-il en ligne ?
Il est en ligne depuis plusieurs années. Et là, il commence à se concrétiser, à se fédérer sur le terrain.