Ce n’est un secret pour personne ; le milieu scientifique et technologique est encore très masculin. Peu de femmes s’y font leurs places ou y réussissent. Et pourtant, cette Ayana est bien partie pour devenir une figure majeure de l’entrepreneuriat technologique en Afrique. Charlette Désirée N’Guessan est la première femme africaine à avoir reçu le prestigieux Prix Africain de l’innovation en ingénierie de la Royal Academy of Engineering. C’est une jeune femme ivoirienne, passionnée par l’utilisation de la technologie au cœur de l’innovation des entreprises. Diplômée en électronique et génie logiciel, elle est actuellement étudiante en Data science et Machine learning. Depuis 2017, elle est co-fondatrice et CEO de la startup BACE Group, une startup qui fournit des services de reconnaissance faciale alimentés par l’intelligence artificielle pour la vérification d’identité en ligne. Charlette se confie à AYANA sur son entreprise, ses ambitions et l’environnement tech en Afrique.
Avez-vous toujours été passionnée de technologie ? Racontez-nous votre parcours.
Plus jeune, je voulais être architecte. Je n’avais pas connaissance du domaine de la technologie. Durant mon cursus scolaire, j’étais très bonne dans les filières scientifiques. Après mon BAC C, j’ai été orientée en électronique et réseau informatique. Durant ma première année à l’université, j’ai eu mon premier ordinateur. Je me suis familiarisée avec cet outil et depuis je ne l’ai plus lâché.
Le domaine de la technologie, c’est un domaine que j’ai découvert et exploré. Cette passion est aujourd’hui au centre de mes activités .
Comme vous pouvez le constater, j’ai un parcours purement scientifique. J’ai fait mes études en Côte d’Ivoire, du primaire à l’université. J’ai accompagné ce parcours de stages en entreprises, de programmes de formation en business et leadership, de certifications en ligne et aussi des expériences sociales/communautaires.
Vous avez participé au programme MEST AFRICA. Quel en a été son impact dans votre parcours ?
Participer au programme MEST a été une fierté pour moi. J’étais la première femme francophone et ivoirienne à être sélectionnée et invitée au Ghana pour ce programme. Ça été l’opportunité pour moi de sortir de ma zone de confort, d’explorer un nouvel écosystème, me familiariser au mindset anglophone et surtout de développer un réseau d’entrepreneurs panafricains et presque mondial.
Comment vous est venu l’idée de créer BACE GROUP ?
En 2017, je décide de démarrer ma carrière en tant que tech entrepreneur. La même année, je suis sélectionnée pour participer au programme MEST, basée à Accra, Ghana. C’est là que je rencontre mes co-fondateurs, et ensemble , on décide d’étudier le marché local. Après avoir échangé avec les leaders de l’écosystème (Fintech, banques, services en ligne), on constate qu’il existe un grand problème au niveau de la cybersécurité.
En effet, la croissance des entreprises en ligne et l’adoption enthousiaste des nouvelles technologies sur le continent n’ont pas été accompagnées d’un engagement équivalent en faveur de la cybersécurité. Aujourd’hui, il est très important d’admettre que la cybersécurité est un énorme problème, en particulier en Afrique.
En tant que data scientists, software engineers, et utilisateurs de ces services, mes cofondateurs et moi, avons décidé de créer BACE Group en septembre 2018. Cette startup disruptive a pour vision d’aider les entreprises africaines en particulier, les entreprises financières à lutter contre la fraude d’identité et à contribuer à l’inclusion financière.
Votre participation au MEST AFRICA est-elle la raison pour laquelle BACE GROUP est basé au Ghana et non en Côte d’Ivoire ?
Non. Il faut noter que BACE est une équipe panafricaine ; les cofondateurs sont de nationalités ivoirienne, Ghanéenne et nigériane. Nous avons décidé de démarrer notre entreprise au Ghana car notre étude de marché a été faite sur ce marché. L’écosystème était plus accessible et favorable à cette époque, pour nous. En tant que jeunes entrepreneurs, on a dû s’adapter et utiliser les ressources disponibles pour développer notre solution.
Aujourd’hui, notre solution est en phase de commercialisation, et nous ciblons le marché africain. les entreprises ivoiriennes peuvent donc utiliser nos solutions si elles ont ce besoin et le souhaitent. Nous sommes ouverts également à des collaborations stratégiques.
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Quels sont vos challenges au quotidien ?
Nous avons étudié notre marché et le besoin est réel. Mais la réglementation ne facilite pas le processus, en général pour les startups locales. De plus, les entreprises ne font pas confiance à la technologie comme elles le prétendent. On est conscient que nous utilisons des technologies très avancées, nous devons donc éduquer notre marché et créer un climat de confiance.
Pensez-vous qu’en 2020, les filles ont de l’intérêt pour les filières technologiques ? Comment planifiez-vous d’armer cette génération avec des connaissances sur la technologie et l’intelligence artificielle ?
Aujourd’hui, les jeunes filles développent de plus en plus d’intérêts pour ce domaine. Les choses ont beaucoup évolué et les efforts continuent d’être fait pour promouvoir et encourager les jeunes femmes à se former dans les filières technologiques.
Pour ma part, j’ai évolué dans un écosystème dominé par les hommes. Je connais les réalités et les défis de cet écosystème. En tant que jeune femme qui a pu se créer une place dans ce milieu, je pense que mon expérience peut inspirer d’autres jeunes femmes ou jeunes filles à embrasser une carrière dans le domaine de la technologie.
Je vais continuer à collaborer et à soutenir les actions qui visent à promouvoir l’égalité des genres dans le domaine de la technologie. Il est important de se focaliser sur les compétences et non le genre. Briser les barrières et stéréotypes, investir dans l’éducation et créer des opportunités.
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S’il y a une chose que nous devons retenir de votre livre “The AI Book“, ce serait laquelle ?
“The AI Book” est un livre basé sur différentes réflexions et idées de dirigeants, entrepreneurs et experts du secteur technologique et financier du monde entier. C’est un excellent projet basé sur la collaboration, pour comprendre et explorer l’industrie de l’Intelligence Artificielle (IA).
Mon chapitre porte sur les opportunités de l’IA dans le secteur financier africain. Il fait environ 1200 mots et met en évidence certains des défis auxquels sont confrontées les institutions financières et les efforts des start-up africaines dans le processus de numérisation des services financiers, et enfin, mentionne quelques solutions innovantes qui tirent parti de l’intelligence artificielle comme moyen de développer davantage le secteur financier africain.
Lauréate du Prix Africain de l’innovation en ingénierie de la Royal Academy of Engineering, que représente ce prix pour vous ?
Ce prix représente la fierté de tout un continent. C’est un honneur pour moi d’être la première femme africaine à remporter ce prix et une fierté pour mon équipe de voir notre travail être reconnu au plan international. Ce prix nous offre également une grande visibilité pour nos activités et une grande responsabilité en tant que rôle modèle.
Quel conseil donneriez-vous à une Ayana qui voudrait créer sa start-up tech ?
Je l’invite à investir dans son éducation car la voie du succès est la voie de la poursuite continue des connaissances. Aussi, il ne faudrait pas se laisser intimider par les stéréotypes. Il faut se faire confiance, étudier son marché, développer une solution qui va répondre à un besoin et problème spécifique tout en ayant un focus sur ses objectifs. L’écosystème peut être favorable ou pas, il faut accepter de sortir de sa zone de confort, explorer et créer des opportunités, être patient avec soi-même et ouvert à la collaboration.