“L’art, qu’est-ce que c’est, maman ?” Une question candide, une porte qui sépare la réalité d’un monde enchanteur où tout serait possible : celui du beau, du rêve et de la créativité. Une question qui a inspiré Anna Djigo-Koffi à écrire un livre pour partager sa passion de l’art à ses filles et aux enfants du monde entier. Le premier tome de sa collection “Art & Découverte de soi ” est une cinquantaine de pages sous le titre “ Noa découvre l’art ”, un voyage dans le temps entre arts classique et contemporain et une expérience visuelle unique avec des œuvres d’artistes africains. Pour Anna, il est essentiel d’instruire dans la mémoire culturelle de nos enfants – en Afrique et issus du Monde Noir et d’ailleurs – des références culturelles plurielles.

Racontez-nous votre parcours
Mon parcours s’articule essentiellement autour de ces cultures et villes qui m’ont nourries et construites au fil des ans. New York, Abidjan, Dakar et Paris, principalement.
Sénégalaise, je suis née à New York et j’ai grandi entre la Côte d’Ivoire et les Etats-Unis – ponctué des séjours annuels au Sénégal, chez ma grand-mère, et en France, chez ma tante. Etudiante, j’ai également vécu une petite année à Toulouse, « la ville rose »…
Dès mon jeune âge, la diversité, les voyages et la découverte de l’« ailleurs » ont nourri mon quotidien… Mon père était diplomate, ma mère, plus tard, dans le tourisme. La pluralité culturelle a donc très tôt eu une influence marquante sur mes sensibilités personnelles, et par extension, sur mon parcours professionnel.
Diplômée en Communication et Relations Publiques de New York University (NYU), passionnée d’art, j’ai en effet toujours eu une affinité naturelle pour les univers créatifs… Au fil des ans, c’est donc tout naturellement que j’ai navigué au cœur de ces univers, pour moi, liés, que sont la communication, l’édition et l’art contemporain.
Douze ans à New York dans le domaine des relations publiques : d’abord en stage chez CHANEL et L’OREAL ; suivi de mon premier poste d’Attachée de presse chez LVMH pour KENZO Parfums, la gestion des RP pour la filiale américaine du Groupe Alain DUCASSE ; MAX MARA, à Paris… Et enfin, le retour à Abidjan avec les expériences Orange Côte d’Ivoire, Voodoo Group (Pôle Édition), la Fondation Donwahi et enfin, le groupe Koffi & Diabaté. Ces expériences professionnelles, toutes extrêmement enrichissantes, m’auront énormément appris en matière de technicité et polyvalence-métier, auprès de personnes qui excellaient dans leur domaine respectif, et pour qui je garde un profond respect.
Parallèlement à cela, depuis 2006, je travaille en freelance dans l’univers du journalisme culturel et dans la conception de projets à vocation de célébrer les créations contemporaines du Monde Noir… Dont le point culminant est aujourd’hui la création de cette maison d’édition, HYBRID, et ce projet-passion et de cœur qu’est le livre « NOA DECOUVRE L’ART » !
Comment s’est faite votre introduction au monde de l’art ?
L’art a toujours fait partie de ma vie, de mon quotidien. J’ai grandi dans une famille où la Culture a toujours eu une place prépondérante… Sous toutes ses formes. De la littérature à la musique, aux arts visuels…
C’est donc très tôt que j’ai été introduite au monde de l’art à travers l’expérience de visites de musées, galeries et espaces culturels en tous genres… Tout cela, dans un environnement propice au développement d’une curiosité artistique pluridisciplinaire, profondément vivante, sensorielle : la ville de New York ! Puis, à Abidjan, auprès de mon deuxième papa – homme de culture par excellence – producteur, musicologue, passionné de musique cubaine – dont la vie était rythmée par une cadence créative qui nous exposait, au quotidien, à une floraison d’artistes de talents, d’horizons tout aussi passionnants que variés. Un homme qui était animé d’une soif constante pour le savoir, pour l’enrichissement des connaissances.
Et il y a, bien sûr, cette sensibilité, cette attirance, que j’ai toujours eues pour le sujet. J’ai en effet toujours été fascinée par le processus de création…Touchée par l’émotion, les sentiments, le bouleversement que l’on pouvait ressentir face à une œuvre d’art.
J’aime les artistes, j’ai beaucoup de respect pour ce travail d’expression qui est le leur ; j’aime cette poésie de leur langage, reflet de leur âme, qui se traduit en art !
Parlez-nous de la collection NOA
La Collection NOA ARTS ET DÉCOUVERTE DE SOI est comme j’aime à dire « celle de nos petits épicuriens, amateurs d’art en devenir… »
L’essence du projet est celle de rendre l’art, la création contemporaine accessible aux enfants, le plus tôt possible. Dans ce cadre précis, dès l’âge de 7 ans.
Dans un langage accessible, ancré autour du personnage de la petite Noa (en dialogue avec sa maman), cette collection a donc vocation d’éveiller la « culture artistique » de nos enfants, à travers l’appréciation d’œuvres d’art pluridisciplinaires, de tous horizons… Et à celles de l’Afrique, de Monde Noir, tout particulièrement.
D’où vous est venu l’idée ?
De ma fille… NOA !
Du fait de ma passion pour l’art, pour la création, je nourrissais secrètement l’espoir de pouvoir, un jour, la partager avec mes enfants.
Un jour, en plein déménagement, je retrouve l’aînée, Noa, en train d’observer un tableau accroché au mur du salon. A son interrogation sur la nature de l’objet, je lui réponds : « C’est un tableau, Noa… C’est de l’ART ! ». Après cet échange, elle passa plusieurs jours à chantonner « C’est de l’ART, c’est de l’ART ! »… C’est là qu’est venu le déclic.
J’avais déjà pris l’habitude de l’emmener à des expos et galeries, des espaces culturels comme le Centre Artisanal de la Ville d’Abidjan (CAVA)…
Ce jour-là, face à ce tableau, la question s’est posée de façon plus précise : comment parler d’art aux enfants ? Comment les sensibiliser au sujet ?
J’ai pensé, en premier lieu, à l’idée de développer un concept d’ateliers pour enfants.
J’ai donc fait des recherches, acheté quelques ouvrages sur le sujet, quand je me suis retrouvée face à un nouveau dilemme.
Aucun des livres que je trouvais en librairie ne figuraient d’œuvres d’artistes africains, du Monde Noir.
J’avais toujours eu pour projet d’écrire un livre. J’ai donc décidé de tenter l’expérience… et le projet des Ateliers Noa est devenu celui d’une collection de livres… et du premier titre que je partage avec vous aujourd’hui : NOA DECOUVRE L’ART !
Pourquoi était-ce important pour vous de vous adresser en particulier aux enfants ?
Parce que je souhaitais partager mon amour pour l’art avec mes propres enfants… Et par extension, avec tous nos enfants.
Il est tellement important de nourrir l’imaginaire de nos enfants avec du « beau »… Dans un monde comme le nôtre où la Culture se perd, où la culture du livre tend à disparaître, j’ai voulu leur offrir comme un portail vers la découverte… Pour nourrir leurs âmes d’un autre type de rêve, pour créer un cadre pour l’expression de leur créativité, pour les sensibiliser aux créations contemporaines… Pour la leur rendre accessible – le personnage de Noa créant ici le lien identitaire au sujet.
Je souhaitais également instruire en eux un sentiment de fierté, à travers ces magnifiques œuvres d’art que produisent nos Artistes Contemporains Africains, du Monde Noir.
Pourquoi l’art ?
L’art car c’est le sujet qui m’a inspiré ce projet d’édition.
L’art, car c’est un univers qui est si riche de promesses !
L’art, car c’est un portail vers un ailleurs extraordinaire, magique par sa capacité à transporter par l’esprit !
L’art, car pour un enfant, c’est une ouverture à un monde où tout est possible. Indépendamment de son milieu social, de ses circonstances de vie, l’art est un monde où les rêves de tous les enfants sont légitimes, où ils peuvent tous devenir réalités… Il suffit simplement de les nourrir et de créer un cadre pour ce faire.
L’art, car en tant que maman, passionnée d’art, c’est le moyen naturel pour moi de participer de façon concrète à une construction identitaire positive de nos enfants.

Dans la “construction” de votre culture artistique, avez-vous souffert d’un manque de représentation, visibilité de l’art africain ?
Mon rapport à la création contemporaine d’artistes d’Afrique et du Monde Noir a été défini par ce manque de visibilité.
Etudiante, à New York, je passais souvent les Samedis après-midi à faire le tour des expos et galeries. Un jour, je réalise, à mon grand désarroi, la difficulté à trouver des œuvres d’art contemporain réalisées par des artistes Africains. Les rares occasions demeuraient en effet dédiées à la présentation d’œuvres représentatives des Arts Africains Classiques. Mais où étaient donc les artistes contemporains ?
Je commence alors à être habitée par le besoin de chercher, trouver et mettre en lumière les talents de notre époque. De partager mes trouvailles avec mes pairs, de transmettre… C’est à cette même époque que je saisis véritablement tout le sens de l’œuvre de SENGHOR sur l’identité culturelle Noire et la « civilisation de l’universel »… et je m’en sens transportée !
J’ai été éduquée dans l’idée de faire par soi-même. De porter, humblement, sa pierre à l’édifice. Nous étions à l’époque, au début des années 2000, aux prémices de la démocratisation du Web, de l’ère des blogs personnels, et je découvre avec émerveillement une floraison de talents souvent – malheureusement, trop souvent – méconnus du grand public. Je décide alors de créer un webzine que j’appelle « Conscience Africaine » où tous les mois, je présentais 4 artistes Africains, du Monde Noir. Une très belle expérience créative et humaine à travers laquelle je construis des relations sincères, durables avec des artistes dont j’admire le travail et dont les liens d’amitié perdurent à ce jour.
Après Conscience Africaine, s’ensuit l’écriture, de façon plus poussée, à travers la rédaction d’articles culturels pour différentes publications (FORBES Afrique, TRUE AFRICA, AFRIKADAA), l’animation d’une chronique radio pour ONUCI FM… Et en 2010, une expérience déterminante à la Fondation Donwahi à travers le prisme de laquelle je découvre la scène artistique contemporaine ivoirienne… Et un juste écho à ma démarche qui se fait apprentissage d’une approche, d’une vision, ancrées dans des valeurs fortes. Je saisis l’occasion pour remercier Illa Donwahi pour son soutien constant à mes projets, et ses encouragements pour celui-ci, tout particulièrement.
C’est une joie immense de voir, aujourd’hui, cette visibilité accordée à l’œuvre de nos artistes, fort de l’initiative d’acteurs décisifs à cet état de fait tels que Simon Njami, feu Sindika Dokolo, ou encore Touria El Glaoui fondatrice de la 1-54 Art Fair, et bien d’autres encore…
Cette notion de visibilité est donc l’essence de mon intérêt particulier pour les créations inspirées et issues d’Afrique et du Monde Noir puisqu’elle porte, depuis toujours, chacun de mes pas.
Parlons du premier livre de la collection “NOA découvre l’art”. Comment s’est passée votre collaboration avec l’illustrateur Stéphane Cuxac ?
Naturellement, de façon très fluide. Stéphane Cuxac est un artiste de talent dont la polyvalence nourrit le travail. Graphiste, illustrateur, photographe, entre autres, il a tout de suite cerné ma vision pour ce projet, dans toutes ses subtilités.
L’illustration de NOA, inspirée de ma fille, se devait d’être fidèle à ce qu’elle est, tout en étant imaginatif, puisqu’il s’agit d’une version plus grande de Noa, dans ce livre (un pari réussi, puisqu’elle s’est reconnue à la découverte du personnage !). Stéphane et moi partageons les mêmes sensibilités en matière d’esthétique, de même qu’au regard de notre rapport à l’Afrique, aux notions de représentation et de diversité dans les médias… Une juste représentation du personnage était donc essentielle pour nous. Stéphane a réalisé ce projet avec beaucoup de passion… et avec le regard particulièrement bienveillant de l’oncle, puisqu’il est mon frère !

L’un des principaux objectifs de la collection est l’idée que les enfants devraient être en mesure de créer leur propre sens et leurs propres liens avec les œuvres d’art. Pouvez-vous nous expliquer comment cette idée affecte le contenu de chaque livre?
Chaque titre aura vocation de présenter et faire découvrir aux enfants un aspect particulier du monde de l’art. L’objectif, à terme, étant de leur offrir les fondements, les notions de base pour naviguer cet univers, en connaître les règles et usages, le langage, les acteurs. L’accent sera mis sur le développement de la culture artistique de nos enfants, en leur permettant d’avoir des références culturelles plurielles, de pouvoir nommer des artistes, reconnaître leurs œuvres.
Ma collaboration avec l’agence Zap Studio, pour le design graphique du livre, allait dans ce sens. Le défi était de développer une esthétique graphique moderne, minimaliste, en harmonie avec le sujet « art », tout en créant un lien fort avec le public-cible, les enfants… sans les infantiliser ! Vous voyez la subtilité de la « mission » ! (rires) Un pur plaisir de la réaliser avec Guy Konan qui a le talent d’être tout à la fois imaginatif, à l’écoute et hors des codes classiques.
La présentation du sujet est donc visuelle, avec une belle mise en valeur des œuvres, présentée dans le respect des codes des galeries du point de vue des légendes de chaque pièce. Et il y a bien sûr, les textes, à travers le récit des échanges de Noa avec sa maman et un petit lexique, à la fin du livre. Le lecteur « découvre l’art », à travers le regard de Noa, avec elle. Chaque titre a vocation de servir d’introduction à une thématique, avec l’objectif d’inciter chaque enfant à aller plus loin dans la démarche de recherche, avec ses parents, ses amis… et au travers des ateliers que nous proposerons.
Comment s’est fait le choix des différents artistes qui y apparaissent ?
Des coups de cœur, essentiellement !
Oui, absolument, des artistes dont j’admire le travail, la vision ! Des artistes dont la démarche fait un juste écho à celle de partage et de transmission, qui constitue l’essence de cette initiative. Leur adhésion à ce projet est d’ailleurs basée sur leur sensibilité à cette action et je leur suis infiniment reconnaissante pour leur soutien, pour leurs encouragements, pour leur générosité : Nù Barreto, Joana Choumali, Ernest Dükü, Franck Ezan, Issa Diabaté, Obou Gbais, Paul Sika et Dominique Zinkpè !
Pour ce titre inaugural de la collection, j’ai bénéficié de la collaboration de la LouiSimone Guirandou Gallery et de la Galerie Didier Claes à travers la généreuse mise en relation avec des artistes et la contribution de pièces d’exception de leurs collections respectives.
Je saisis l’occasion pour remercier chacun d’entre eux, Artistes et Galeries, pour ces précieuses contributions qui participent à nourrir la mémoire culturelle et visuelle de des enfants qui liront ce livre !
Quel impact souhaitez-vous avoir sur les enfants qui lisent ces livres ?
Celui d’enrichir la sphère de leurs connaissances, de nourrir leur imaginaire et de les introduire à l’art, autrement, leur donner les « codes » pour explorer cet univers.
Celui d’éveiller en eux une curiosité pour le sujet, peut-être de nouveaux rêves, des vocations…
Et surtout, celui de participer à inscrire la notion de diversité dans leur mémoire culturelle, et notamment celle d’une Afrique belle, créative, inspirante ! C’est si important de pouvoir se reconnaître dans le BEAU !
Bientôt des ateliers pour découvrir l’art…?
Absolument, en complément au livre, j’ai développé un programme d’ateliers dédiés à l’éveil culturel des enfants : LES ATELIERS NOA !
Pour aller plus loin dans la démarche. Pour les accompagner dans leur processus de découverte du monde l’art contemporain.
Tout cela pour je l’espère, avoir à terme, une génération d’enfants qui citeront aisément au titre de leurs références : Ousmane Sow et Auguste Rodin, Andy Warhol et Malick Sidibé, David LaChapelle et Aïda Muluneh ! …
Le premier atelier se tiendra ce mois de Juin.
Je vous invite à visiter la plateforme Web dédiée au projet pour les détails du programme et les dates des ateliers à venir : www.ateliersnoa.com… En espérant y retrouver plein de mini-Ayanas !